KAREN MARIA PETERSEN, LA GARDIENNE DE L’ORPHELINAT "EMAUS"
Karen Maria Petersen
Un grand nombre de missionnaires qui ont été témoins du génocide des Arméniens ont consacré leur vie au salut des femmes et des enfants arméniens. Parmi eux se trouvaient aussi un certain nombre de missionnaires scandinaves dévoués. Il s’agit en particulier des
"Employées de la mission féminine" de l’Organisation évangélique danoise (Kvindelige Missions Arbejdere, KMA), fondée en 1900 à Copenhague. Le slogan de l'organisation décrit parfaitement le but de son activité:
"Femmes qui travaillent pour les femmes". La principale source d’inspiration pour la création de
"Employées de la mission féminine" est l’EMF suédois fondé en 1894, ainsi que les mouvements modernes de la renaissance danoise, la
Mission interne et pour ainsi dire le
Protestant international, qui avaient pour objectif de faire connaître le monde à l'Évangile et aux Lumières. Les massacres organisés par Abdul Hamid dans l'Empire ottoman au cours de la première moitié des années 1890 furent aussi un signal important pour la création de cette organisation.
Initialement, la mission danoise s’est concentrée sur la diffusion d’informations sur l’état grave des Arméniens, victimes des massacres, ainsi que sur la prise en charge des orphelins arméniens confiés aux Américains et aux Allemands à Bitlis, Van, Mouche, Kharberd et Constantinople. Cependant, ils ont vite compris qu'ils avaient besoin de leur propre orphelinat et de leurs missionnaires qui travailleraient sur place. Ainsi, en 1902-1903, fut créé l'orphelinat danois "Emaus" dans le village de Mezre de la province Kharberd.
Karen Maria Petersen, l’une des missionnaires de l’organisation
"Employées de la mission féminine" fut envoyée à Kharberd où elle fut nommée directrice de l'orphelinat Emaus. Petersen est née en 1881, dans la ville de Nykøbing, au Danemark, dans la famille de la classe moyenne. Bien que nous en sachions très peu sur elle, nous savons que Maria a consacré sa jeunesse au salut des femmes et des enfants arméniens. À la fin de la guerre, elle adopta une petite fille arménienne qu’elle a baptisée Houïs (se traduit "espoir".)
Comme les autres missionnaires, Petersen a également été témoin du génocide des Arméniens en 1915 et a enregistré d’importants témoignages d’atrocités et sauvé de nombreuses vies. Prévenant le danger imminent pour Emmaüs, Maria s'est également occupée des besoins les plus essentiels des enfants et des femmes dont elle s'occupait, à savoir la nourriture et les vêtements.
Elle était l’une des nombreuses qui, à tout prix, réussirent à "accompagner" son peuple arménien aimé sur le chemin de l’exil et devinrent les témoins de leur Golgotha. Petersen décrit dans son carnet son état d’âme, notant qu'elle avait même perdu le désir de vivre.
"... Beaucoup, surtout dans les quartiers pauvres, ne voulaient pas croire que tout était sérieux. Ils ne veulent pas aller, ils pleurent et supplient "Laissez-nous mourir ici", mais ils n'ont plus de maison et sont obligés de suivre les autres ... "Nous avons pris notre croix et sommes allés après Jésus ..." "Nous allons mourir "Priez pour nous ..." De leurs mots, nos cœurs semblaient éclater de la pensée que nous voyions tout ce malheur, mais nous ne pouvons rien faire ... "
Témoin des déportations d’Arméniens, Petersen a pu collecter un certain nombre de témoignages des survivants du génocide de 1915, mais ses carnets ne sont pas entièrement conservés ; seulement quelques publications sont disponibles et se trouvent dans les archives danoises de l’EMF.
Dans l’une des publications datée de 1920, Petersen avait évoqué une affiche placée auprès des autorités ottomanes à Mezre, qui révélait de manière explicite la politique anti-arménienne: "Chacun qu’il soit musulman ou chrétien, qui cachera un Arménien, sera pendu à la porte de son propre domicile et son domicile sera brûlé et se réduira en cendres."
Dans une autre publication, datée de 1932, Maria présente les détails du sort des Arméniens de Kharberd, de leur déportation et de leur massacre, de la destruction de la culture et de la religion du peuple arménien :
"Octobre, 1915. Promenade pendant la déportation… Nous étions déviés de la route principale, nous étions heureux avec la lumière du soleil et l’air pur. Cependant, notre joie a vite altéré avec de la vue horrible des squelettes, des tombes rocheuses et des os dispersés dans les champs ... Dans les villages, toutes les églises sont détruites. Il est difficile de renverser les murs séculaires, mais ils doivent s'effondrer. Tous les signes du christianisme doivent disparaître ... "
Maria Petersen n'a pas seulement décrit son Kharberd natal dans ses mémoires, elle l'a également immortalisé avec des peintures. La plus parlante de celles-ci était peinte en 1917, la toile "Mezire", dans laquelle est représenté le panorama de Mezre. Les plaines dorées de Kharberd, le lac Tsetsk (Gioldjouk, maintenant Hazar), les orphelinats danois ou allemands, le village de Yeghegi et le célèbre bâtiment de la fabrique des frères Fabrikatorian figurent sur la toile. On peut dire que Petersen reflétait l’environnement arménien de Kharberd, qui était si proche d’elle.
Presque toutes les dames d’
"Employées de la Mission féminine" étaient disposées à revenir et à continuer leur travail après la guerre, mais la montée du mouvement nationaliste dirigé par Mustafa Kemal a fait obstacle à leurs objectifs. Ainsi, Karen Maria Petersen a poursuivi sa mission en Syrie et au Liban en se consacrant au soin des réfugiés arméniens.
Inessa Stépanian
Collaboratrice scientifique adjointe du MIGA
La toile "Mezire" peinte par Karen Maria Petersen
Collection de la fondation de "Musée-institut du Génocide des Arméniens", donateur : Hraïr-Mekertitch Srapian
Le premier comité de l’organisation "Employées de la mission féminine" (EMF), Norvège, début du XXe siècle
Maria Hacobsen et Karen Maria Petersen, lac Gioldjuk, 1910
Le premier numéro d’EMF, daté de janvier 1920, où a été inséré le matériel de Petersen
Les pupilles de l’orphelinat danois "Emaus"
L’orphelinat danois "Emaus"
L’orphelinat danois "Emaus"
Vue de l’exode de la population arménienne
Le groupe de 5000 enfants arméniens, évacués de Kharberd, 1922
Panorama de Kharberd
Vue de Kharberd
Vue de Kharberd
Collège central de Mezire
Camp de réfugiés de Liban, 1917-1939
Camp de réfugiés de Liban, 1917-1939
La caserne d’Alep qui par la suite s’est transformée en camp de réfugiés, 1918