27.01.2022
Le juriste Raphaël Lemkine a apporté une contribution particulière au développement des études sur le génocide en tant que branche distincte de la science. Il n'a pas seulement mis en avant le terme "génocide" et a pris une part active à l’affaire de la rédaction de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide le 9 décembre 1948, mais il a aussi étudié pour la première fois de manière approfondie les différents génocides qui ont été perpétrés dans l'histoire.
Sur la base de la recherche, la majorité des spécialistes du génocide sont arrivés à la conclusion que les deux génocides majeurs du XXe siècle, le génocide des Arméniens et l'Holocauste des Juifs, ont été cruciaux pour la vie de Lemkine.
Au début de sa carrière, Lemkine soulève la question de l'imperfection du droit international de l'époque en relation avec la question du génocide des Arméniens, le crime contre les Arméniens dans l'Empire ottoman. Elle est conditionnée par le fait que la résolution de 1933 sur le droit pénal international lors de la conférence de Madrid, il a présenté son rapport, dans lequel il a indirectement averti que l'indifférence au crime de génocide des Arméniens, l'impunité, pourrait conduire à une répétition du crime de génocide commis par l'Allemagne nazie.
Après le rejet du rapport sur la punition du crime, Lemkine continue sa lutte. On peut considérer l’invention du terme "génocide", en 1944, dans son ouvrage "La gouvernance des puissances de l'Axe en Europe occupée" comme développement logique de ses propositions faites en 1933.
Dans ce contexte, ce n'est pas par hasard qu'Hitler a encouragé ses généraux à envahir la Pologne en demandant : « Après tout, qui aujourd’hui parle de l’extermination des Arméniens ? En d'autres termes, le fait que les criminels Jeunes Turcs qui ont commis le génocide des Arméniens soient restés impunis a contribué à la réalisation de l'Holocauste des Juifs.
C'est aussi de ce fait que dans le cadre de son vaste héritage scientifique consacré à la définition et à la prévention du crime de génocide, le juriste établit des parallèles particuliers entre le Génocide des Arméniens et l'Holocauste des Juifs, comparant la situation des Arméniens dans l'Empire ottoman avec la situation des Juifs en Allemagne. Selon lui, les Arméniens étaient les citoyens travailleurs de l'empire, avec le talent de l'artisanat, les capacités intellectuelles, et avaient les mêmes compétences commerciales que les Juifs.
Il convient de noter que pour définir le crime, il utilise le fait de l'intention de détruire certains groupes, soulignant que le Génocide des Arméniens et l'Holocauste étaient basés sur l'intention de détruire les Arméniens et les Juifs en tant que groupes distincts. Ce fait montre que les affirmations des négationnistes turcs selon lesquelles Lemkin n’avait pas en vue le génocide des Arméniens lors de la création du terme « génocide » sont sans fondement.
Extrait d'une interview de Raphaël Lemkine avec CBS en 1949
En 1949 dans une interview avec CBS, Raphaël Lemkine note : "Je me suis intéressé au génocide parce que c'est arrivé tellement de fois, c'est arrivé aux Arméniens, après que les Arméniens ont été traités très durement à la conférence de Versailles parce que les auteurs de leur génocide n'ont pas été punis… En tant que juriste, j’ai pensé que le crime ne doit pas être puni par les victimes, mais par un tribunal de droit international. " Puis, abordant son combat pour la prévention du crime de génocide, il note : "Je me suis dit que j'allais faire quelque chose. Et j'ai soumis un projet de convention à un comité d'experts juridiques de la Société des Nations. Cependant, aucune mesure n'a été prise, mais ensuite Hitler a agi. "
Narèk Poghossian
Chercheur du MIGA au département Vahagn Dadrian des études comparées des génocides
Remarques :
L’interview de Raphaël Lemkine avec CBS, datée de 1949 : https://vimeo.com/125514772
https://vimeo.com/125514772